 |
Valentin et David Douillet en 2002 |
J'ai
enfin regardé tranquillement en tête à tête avec l'écran, le
film "Presque comme les autres"... Pendant toute la durée
du film j'ai versé beaucoup de larmes, tant les similitudes avec
notre parcours étaient fortes et l'émotion de les revivre
douloureuse ! A force d'être la tête dans le guidon pour se battre
et trouver des solutions au quotidien, on ne prend pas le temps de
regarder derrière, de s'arrêter sur les épreuves vécues.
D'abord
bravo au petit garçon qui joue le rôle de Tom si merveilleusement
et un grand merci à Gersende et Francis Perrin de partager avec
tous, ses moments intimes et forts de leur vie.
14 ans se sont écoulé depuis le diagnostic de notre fils qui est
devenu un adorable beau jeune homme de 18 ans, d'une gentillesse
infinie, avec de nombreuses qualités très appréciables de sérieux,
d'honnêteté, de courage, qu'on aimerait rencontrer chez beaucoup
d'humains non autistes. Nous adorons notre fils et ce qu'il est
devenu. Nous nous battons chaque jour pour son bonheur, son présent
et construire son avenir. Nous avons beaucoup oeuvré à chaque
instant pour tout lui apprendre mais en retour il nous a apporté
beaucoup humainement, nous a rendu plus ouvert à la différence, aux
autres.
14 années et le constat que si peu de choses ont changé en France
concernant l'autisme.
Bien
sûr, depuis 14 ans on peut trouver plus de livres qui en parle,
d'infos sur internet, d'associations de parents qui se sont créé
pour compenser le vide immense de prise en charge adaptée par
l'Etat, un peu plus de structures adaptées et de classes crées
grâce au combat acharné des parents, mais toujours totalement en
dessous des besoins, plus d'articles dans la presse au moment des
Journées de l'autisme, mais c'est tout.
Internet
nous permet d'être en contact quotidien avec d'autres familles
partout en France. Le constat est là : les familles vivent
toujours les mêmes galères qu'il y a 14 ans !
Manque
de diagnostic, diagnostic fait trop tard, erreurs de diagnostic,
personnel médical et psy mal formés, incapables de réaliser des
diagnostics et des prestations éducatives adaptées.
Et
toujours ce même discours culpabilisant venant des psys freudiens et
autres foutaises du même tonneau. J'en profite au passage, pour dire
aux psychanalystes : lachez nous ! Contentez-vous de la
clientèle des adultes qui font la démarche de venir vous consulter
pour des raisons personnelles qui les regardent. Nos enfants et
adultes autistes n'ont pas besoin de psychanalyse ! ni leurs
parents !
Nous
ne voulons plus nous retrouver face à des psychanalystes quand nous
consultons des psychologues et psychiatres à l'hôpital, dans les
SESSAD, et structures médico-sociales diverses pour les diagnostics
et les prises en charge. Nous voulons des professionnels formés à
l'autisme et aux techniques éducatives du XXIe siècle pas celles
qui datent de deux siècles ! Nous voulons aussi que
l'enseignement de la psychologie/psychiatrie à l'Université se modernise et
entre enfin dans le XXIe siècle pour s'ouvrir aux méthodes
comportementales et éducatives. Il est grand temps de reléguer
Freud et ses potes aux cursus de philosophie.
Qui
dit enfant, dit …. école ….
Toujours
aussi peu d'enfants autistes qui peuvent aller à l'école quand en
Italie 100% des enfants autistes vont à l'école ! ce n'est pas normal !
Quand
Valentin avait deux ans et que la crèche a commencé à nous
signaler qu'il ne participait pas aux activités, ne jouait pas
comme les autres et qu'il serait peut être bon de consulter, nous
avons commencé à nous poser les mêmes questions que Gersende et
Francis avec les mêmes galères de vie à la maison, les nuits sans
sommeil, la vie sociale réduite au strict minimum parce que devenue
trop compliquée à gérer, la vie professionnelle abandonnée
subitement, les critiques de l'entourage et le plus dur celles de la
famille qui nous juge et pense que nous ne savons pas élever notre
enfant qui fait des caprices selon eux.
Je
passerai sur les crises permanentes d'automutilation à chaque
contrariété, les courses dans les magasins impossibles à faire
normalement, les trajets dans les transports en commun
surréalistes et toutes les petites actions du quotidien qui se
transforment en combat comme lui faire couper les cheveux chez le
coiffeur, manger, jouer, soigner une dent... et l'appartement qui se
transforme en champ de bataille, un jour les rideaux déchirés, un
autre de la farine bien étalée sur la moquette et j'en passe.
Il
faut consulter disait la directrice de la crèche, mais consulter qui, quand on ne sait pas le mal dont souffre notre enfant, quand tout le
monde nous dit que tout va bien, qu'il est juste mal élevé (par
nous bien sûr) que le pédiatre qui le suit depuis sa naissance nous
répond que tout va bien, qu'il se développe normalement, qu'il faut
lui laisser du temps, qu'il faut que j'arrête de m'angoisser pour
RIEN.
Alors
comme Gersende et Francis nous avons consulté des psys qui nous ont tenu tous
les mêmes discours hallucinants et culpabilisants, nous accusant
d'en faire trop ou pas assez et nous proposant de revenir mais sans
l'enfant, pour parler de nous, de notre enfance, notre sexualité,
nos angoisses et j'en passe et au passage, merci c'est 100 euros, en
espèces de préférence j'aimerais mieux … si si c'est arrivé une fois.
Les
hôpitaux de jour qui veulent bien vous le prendre mais après 1
heure d'écoute avec le directeur vous comprenez tout de suite qu'ils
vont se contenter de le mettre sous camisole chimique et de lui faire
faire de la pâte à modeler à vie. Alors vous fuyez vite avec votre
enfant sous le bras.
Comme
eux je suis partie en claquant la porte devant tant d'ignorance et
d'incompétence et j'ai continué à chercher, chercher, lire,
rencontrer des spécialistes, des parents, aller à des conférences,
faire des km et des km pour trouver une petite lueur de réponse un
peu sensée.
Les
mois passent, sans solution, la situation s'aggrave, nous inscrivons
notre fils à l'école maternelle du quartier comme tous les autres
enfants. Au bout de quelques jours la directrice nous demande de le
reprendre à la maison « vous comprenez nous ne pouvons pas
garder ce genre d'enfant en classe, il perturbe trop, sa place est à
l'hôpital ».... ce genre d'enfant ?? quel genre ??
et puis bien sûr, hop là du jour au lendemain je le garde à la maison toute la
journée, je n'ai pas de vie professionnelle, justement j'étais chez
moi à ne rien faire !!!! (humour).
Toute
une vie qui bascule du jour au lendemain et personne pour nous aider,
nous écouter, nous comprendre.
Beaucoup
de monde pour nous regarder de travers, nous fuir, nous critiquer,
nous accuser. Les petites phrases assassines du quotidien qui nous
enfoncent. Oui vous savez les petites phrases comme "hum encore un enfant mal élevé, une bonne fessée et il va arrêter ses caprices !"
Et
puis à force de chercher, chercher et encore chercher on tombe sur
internet sur un groupe de mamans formidables. Comme dans le film, moi
aussi c'est suite à une émission à la TV que j'ai découvert des
similitudes avec notre fils. Il s'agissait de témoignages sur des
enfants hyperactifs. J'ai foncé sur Internet lire et chercher des
forums. Des nuits de lecture.
Mille
mercis à ces mamans formidables d'enfants différents qui ont pris
le temps de m'écouter, de m'aider et m'ont guidé vers un
spécialiste compétent qui a tout de suite compris en voyant
Valentin dans son cabinet, quel était le problème. Après tout a
été très vite (et nous avons été chanceux, généralement les
parents attendent 1 an ou plus pour avoir un RV de bilan) .... bilan
complet à l'hôpital Robert Debré pendant 1 semaine, le diagnostic
est tombé : Valentin est autiste ! Personne ne nous avait évoqué ce mot avant !
Je
vais résumer en quelques lignes les 14 années intenses qui suivent
le diagnostic. 14 années de combat quotidiens pour se former aux
méthodes éducatives spéciales comme ABA, Teacch, PECS auprès des
rares spécialistes à l'époque, pour chercher des professionnels en
libéral non remboursés afin de mettre en place un programme
intensif que je pilotais moi même. 14 années de militantisme
acharné pour faire connaître l'autisme, les bonnes pratiques,
dénoncer les mauvaises, aider les autres parents, au sein des associations Autisme France puis ensuite à
Autisme Vienne quand nous avons déménagé pour que Valentin puisse
aller à l'école.
Aller
à l'école ! Une démarche normale pour tous les enfants en
France. Un luxe inaccessible pour les enfants autistes dont
personne ne veut, ni l'école, ni les centres de loisirs, ni les
activités, tout leur est refusé. Nous avons du insister, expliquer,
s'imposer pour que Valentin aille à l'école, bénéficie d'une
auxiliaire de vie scolaire indispensable. Et pas qu'une auxiliaire
non formée qui vient quelques heures dans la semaine.... non, nos
enfants ont besoin d'une auxiliaire de vie formée, correctement
rémunérée et qui intervient à temps plein ! Ce qui coûtera
toujours moins cher pour la société que le prix à la journée en
hôpital de jour inadapté !
Et
chaque année le combat continue pour tout : trouver une école,
une formation, un stage, une entreprise qui accepte, écoute,
comprenne, se met à notre place, nous tend la main avec humanité,
ne rejette pas d'office. Il faut expliquer, convaincre.
Un
grand merci à tous ceux et celles qui au cours de ces 14 années ont
participé à nous aider dans ce défi incroyable d'élever un enfant
autiste en France ! Merci aux professionnels, parents,
associations qui en dehors des sentiers battus nous ont aidés à
apporter à Valentin une vie comme celle des autres enfants.
Nous
n'avons rien lâché, à aucun moment, chaque seconde de notre vie de
parent a été combat et amour !
Alors
à tous ceux qui nous ont dit au départ, d'abandonner, de caser
notre fils dans un hôpital et de tourner la page, que notre fils ne
saurait jamais ni lire, ni écrire et que j'étais folle de vouloir
le mettre à l'école, d'abandonner tout projet pour lui dans le
futur …...
je
réponds « je vous enmerde tous ! » oui oui je sais
c'est un gros mot mais faites moi grâce de ce moment, ça fait du
bien !
Valentin
est allé à l'école en primaire puis au collège, non sans
difficultés au quotidien, il y aurait beaucoup à dire sur le sujet,
mais il a obtenu son brevet avec mention assez bien. Donc il sait
lire, écrire, compter, parler, même parler anglais …... Il a
appris faire du ski, à nager, à faire du badminton... et comme les
parents d'enfants autistes sont obsédés par l'autonomie notre super
fils sait faire bien plus de choses que beaucoup de jeunes de son
âge ! Je lui ai appris à se faire à manger, faire le ménage,
jardiner...
Actuellement
il étudie dans un lycée professionnel en première année de CAPA
pour être jardinier paysagiste. C'est un élève sérieux,
consciencieux, très motivé et heureux de pouvoir apprendre et
travailler un jour dans ce métier qu'il aime.... si on lui en laisse
la chance …
J'espère
de tout cœur qu'une entreprise ou une collectivité comprendra
quelle opportunité formidable et enrichissante elle a en embauchant
Valentin. Bien sûr, il est peut être un peu plus lent qu'un autre,
il faut prendre le temps de bien expliquer les tâches à faire en
décomposant bien les consignes. Mais il trouvera vite sa place, ce
sera un employé compétent, fidèle, honnête, travailleur,
courageux, motivé, toujours prêt à rendre service et à
s'impliquer à fond, toujours prêt à apprendre, un collègue gentil
qui ne cherchera pas à vous glisser des peaux de banane mais à
devenir votre ami. Que de valeurs en or qu'on aimerait trouver plus
souvent dans le monde professionnel.
Je
te souhaite mon fils de trouver cette entreprise et de pouvoir
avoir la vie d'adulte que tu mérites : un travail, un salaire,
un logement, des loisirs, des amis.... une vie !
Je
le souhaite à tous les enfants et adultes autistes ! En France
nous en sommes loin, très loin ! Nous manquons de tout :
de diagnostics correctement établis et assez tôt, de professionnels
correctement formés aux techniques éducatives spécialisées et
modernes, de places à l'école, d'auxiliaires de vie pour enfants et
pour adultes, de lieux de vie adaptés et humains pour les adultes,
de loisirs. Nous aimerions n'être que des parents aimants et non pas
aussi des éducateurs spécialisés à vie !
Mais
avant tout, nous aimerions que change....
….
le regard des autres !
Plus
d'ouverture d'esprit, de bienveillance, de tolérance à la
différence, d'humanité, de main tendue, de chaleur humaine.
Un
grand merci à tous ceux qui auront lu ce texte jusqu'au bout. Votre
attention me touche.
Et
le combat continue....
Marie-Christine,
maman de Valentin et Rose, deux enfants exceptionnels et formidables
que j'adore et qui m'épatent chaque jour ! A mes enfants et mon
mari : je vous aime !